« Sven, bonjour. Pour une fois, on va commencer par la fin. Il y a quelques semaines encore, vous étiez assis sur le banc du Abha SC, un club de D1 saoudienne. Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter le Maroc et l’AS FAR pour ce club moyen ?
Il y a plusieurs raisons à cela. La première, c’est que j’ai eu peur que le sommet ait été atteint avec l’AS FAR avoir gagné la Coupe du Trône et atteint la 3e place.
C’était peut-être le bon moment de partir, du moins je le pensais. Ensuite, il y avait des divergences de points de vue avec l’administration du club. Et puis, le club saoudien est arrivé avec une offre importante.
Etait-ce vraiment votre premier choix ?
Mon ambition était de rejoindre un club en Europe et j’ai d’ailleurs entamé des discussions en juin avec un club belge. Le problème, c’est que la reprise était mi-juin et qu’avec l’AS FAR, la Botola se terminait en juillet ! Et puis Abha a insisté…
Avez-vous hésité ?
J’ai demandé un temps de réflexion. Ils sont revenus à la charge deux fois, deux fois j’ai refusé. J’étais en vacances pendant deux semaines en Italie avec ma famille. La troisième fois, j’ai dit oui.
Je voulais rester finalement et pourtant j’ai fini par partir ! Sur le plan sportif, cela ne m’intéressait pas trop. Je n’étais pas convaincu à 100%.
Qu’est-ce qui a pesé dans la balance ?
Un directeur sportif belge a rejoint le club, puis un entraîneur des gardiens. La perspective de travailler avec des compatriotes a eu raison de mes doutes. C’était un point important.
Après, je me suis renseigné bien sûr. Mais pas assez. J’avoue que je n’ai pas assez poussé mes recherches…
Pourtant, le club compte dans son effectif des joueurs de qualité : Miquissone (prêté par le Ahly), Saad Bguir le Tunisien, Caicedo l’Equatorien venu du Genoa, le Serbe Uros Matic et Devis Epassy, le gardien international camerounais…
Effectivement, l’effectif a une certaine qualité. Miquissone et un autre attaquant sont arrivés fin août et n’étaient pas prêts. Et puis, notre directeur sportif a voulu s’occuper des transferts. Mais le club ne l’a pas laissé faire. C’était la guerre entre eux et moi, j’étais au milieu.
Tout cela n’explique pas toutes vos difficultés…
A un moment donné, je me suis aperçu que l’entourage de l’un de mes joueurs, le Tunisien Saad Bguir, voulait « contrôler » le club.
Le staff médical était tunisien, le traducteur aussi, sans oublier l’avocat chargé des transferts. Au début, je n’y avais pas fait attention.
J’ai sous-estimé ça et cela a fini par me coûter ma place. A un moment donné, j’ai décidé de me passer de l’autre joueur tunisien de l’effectif pour pouvoir faire venir un autre défenseur central. Ca n’est pas passé du tout auprès du groupe qui le soutenait.
« La Roshn league est très homogène »
Comment tout cela s’est-il terminé ?
Par la défaite (0-3) contre Al-Nassr, lors de la 6e journée. A un moment donné, tu sens que cela ne fonctionne plus comme au début.
Après le départ de ce Tunisien, le ressort était cassé. A l’entraînement, ça bossait à 70%. Mon erreur aura donc été d’avoir sous-estimé certains paramètres extra-sportifs.
Et ça a contribué à ma chute. Un exemple ? Mon adjoint était un Egyptien. Avant son arrivée, le traducteur avait accès à toutes les « infos » dans l’équipe. Ce n’était plus le cas une fois que mon adjoint était là.
Il a dû quitter le club deux semaines avant moi… Les joueurs ne l’aimaient pas, certains l’ont même accusé d’être un espion !
Quel bilan tirez-vous de cette mission ?
J’ai vécu trois mois… incroyables ! Mais c’est une bonne leçon pour moi, une bonne expérience !
Qu’avez-vous pensé de la Roshn League, le championnat pro saoudien ?
J’ai bien aimé. Il y a de très bons clubs, Al-Nassr, Ittihad, Hilal et Shabab, avec des étrangers de qualité. J’ai vu deux autres équipes intéressantes en début de compétition, Al-Taawon et Al-Taee.
Pour le reste, c’est relativement homogène et tout le monde peut battre tout le monde. C’est un championnat où il faut aligner a minima quatre Saoudiens mais où le niveau est bon.
De ce que j’en ai vu, avec Abha, on était capable de battre des clubs émiratis huppés comme Al-Wahda et Al-Aïn.
A quel type de problèmes avez-vous été confronté au quotidien ?
Nous n’avions pas de vestiaires dans notre terrain d’entraînement ! Les joueurs venaient quelques minutes avant la séance tous habillés, restaient dans leur voiture avec la clim !
Je sifflais et ils sortaient pour s’entraîner. Après, ils s’en allaient. Difficile dans ces conditions de créer un groupe, une cohésion.
Quoi d’autre ?
Comme je n’avais pas de bureau là où on s’entraînait, j’ai repéré un coin près de la salle médicale, qui se trouvait à 300 mètres du terrain !
J’ai aménagé cet endroit en demandant une télé, une imprimante, un tableau tactique. A la fin, on m’a dit que j’étais exigeant… Du coup, je bossais aussi depuis la maison. J’avais demandé la même chose lors de ma mission précédente à l’AS FAR.
Mais eux étaient convaincus de la nécessité. Ils ont suivi et apprécié. A Abha, j’étais le méchant qui demandait des choses ! Je leur ai dit, lors d’une réunion : « vous me demandez de baisser mon niveau de professionnalisme ».
Dire que j’étais parti avec une vraie ambition pour bien travailler… Encore une fois, je n’ai pas pris le temps de bien me renseigner. J’ai fait confiance. A la fin, je me suis trompé.
« Je regrette d’avoir quitté l’AS FAR »
Revenons à la fin de votre mission, après la défaite contre le Al-Nassr de Rudi Garcia début octobre…
Après ce match, les dirigeants ont dit : « On va trouver une solution à l’amiable ». Je leur ai répondu : pourquoi vous ne me dites pas la vérité ? Vous voulez me limoger ! Finalement, on s’est séparés à l’amiable.
Où en êtes-vous actuellement de vos recherches de postes ?
J’avais prévu de longue date des congés en famille, puisque le championnat saoudien fait un long break en raison de la préparation de la sélection à la CDM au Qatar.
Donc on est allé au Maroc, à Marrakech et maintenant nous sommes à Athènes. C’était nécessaire après sept ans en Afrique. Au Cameroun, en Zambie, puis en Tanzanie et au Maroc avant d’aller à Abha. Jusqu’à la CDM au Qatar, je ne vais pas accepter un nouveau challenge.
Avez-vous été contacté ?
J’ai eu des touches au Maroc. Mais je veux d’abord récupérer de ma mauvaise expérience en Arabie saoudite. La suite, ce sera peut-être au Maroc, en Egypte ou en Europe. On verra !
Pour terminer cet entretien, revenons sur votre passage au Maroc, à l’AS FAR. Une expérience fructueuse, non ?
D’abord, ça a été une expérience particulière. Au début quand je suis arrivé, c’était en plein COVID et il n’y avait pas de public dans les stades.
Le club était avant-dernier au classement, l’équipe était marquée par du négativisme. C’était bizarre, ces stades vides alors que l’on m’avait parlé des ambiances exceptionnelles au Maroc.
Là-bas, j’ai pu choisir mon staff, qui faisait déjà partie des FAR. Et on a vraiment bien travaillé. La première saison, on a fini troisième, en partant avant-derniers.
Je me sentais très bien dans cette ville, j’étais apprécié de nos supporters. J’ai donc prolongé. La deuxième saison, on a encore terminé troisièmes, et puis on a gagné la Coupe du Trône. Avec nos supporters !
Franchement, je ne peux rien dire de négatif sur l’AS FAR, la ville et notre public. Les résultats ont aidé. Quand ça gagne, le soleil est là ! Aujourd’hui, je regrette d’avoir quitté le club. Mais c’est la vie…
J’y suis retourné récemment quand je suis passé au Maroc et les supporters, globalement, étaient très positifs vis-à-vis de moi.
Qu’est-ce qui vous attend, désormais ?
Clairement, je ne crois pas qu’un club européen attende Sven Vandenbroeck, après ma mauvaise expérience saoudienne !
Ce sera peut-être plus facile dans les pays du football arabe, Maroc, Egypte, Algérie. Même si je ne suis pas figé sur un pays en particulier. La prochaine fois, je partirai avec un adjoint que j’ai choisi. Et puis, je me renseignerai mieux sur le contexte avant de me lancer.
Y-a-t-il quelque chose dans les tuyaux ?
Le plus concret récemment, c’était pour les U23 du Maroc, qui disputeront à domicile tournoi préolympique et avant ça, le CHAN en Algérie en janvier prochain. Ca pourrait être une très belle mission *… »
Propos recueillis par @Frank Simon
* La FRMF a finalement confié les U23 du Maroc à Issam Charai début novembre, après que l’entretien ait été réalisé.