Taoufik Harzi, 41 ans, est un homme au parcours aussi passionnant qu’original. Footballeur contrarié, le Franco-Tunisien s’est converti à l’athlétisme et au demi-fond avec un réel succès. Puis, il est revenu, après de longues études sportives spécialisées, à son premier amour, le football. Mais côté préparation physique. Ses diverses expériences, de l’ES Sahel à la Chine, en passant par l’accompagnement de grands champions de la course à pied – Mustapha Essaid, Brahim Lalafi – et de boxeurs de renommée mondiale – Kreshnik Qato , Zhang xi Yan, Shenshenko Vyacheslav- l’ont aidé à grandir et à aimer encore plus son métier. Il nous en parle avec passion et en exclusivité.
Quelle est la place précise d’un préparateur physique au sein d’un staff technique: particulièrement dans un grand club ?
C’est l’homme de l’ombre en quelque sorte. Il est l’adjoint qui assure le suivi de la condition physique des joueurs. Il est chargé de donner, en terme de performance, les outils à l’entraîneur pour que celui ci optimise le potentiel du groupe. C’est un métier précis, à la fois individualisé et collectif. La charge de travail change aussi selon les différents moments de la saison. On ne travaille pas de la même manière avant le début de la compétition et durant la compétition. L’hiver ou l’été. Évidemment, dans un grand club, c’est la dimension du staff qui fait la différence. Si dans un club de Ligue 2 on peut se contenter d’un préparareur physique, dans un club comme l’Inter Milan – ou j’ai effectué un stage en 2003 – ils sont quatre ou cinq. La préparation physique est évidemment déterminante dans l’échec ou la réussite d’une saison. Et plus le niveau de la compétition est élevé plus l’exigence est grande dans ce domaine.
Vous même, vous êtes passé par l’athlétisme et étiez un coureur de demi-fond de haut niveau. Cela a joué dans la choix de votre métier ?
J’ai commencé par pratiquer à la fois l’athlétisme et le football. En football, jai joué jusqu’à mes seize ans à Valence. Mais ma cousine,qui était une brillante athlète, m’a fait comprendre que j’avais plus de chance de réussir quelque chose en athlétisme qu’en foot. Alors , j’ai dit banco pour la course à pied. C’était le bon choix, puisque j’ai réussi une belle carrière dans le demi fond avec des performances plus que respectables ; 1’48” au 800 m et 3’43 » au 1500 m.
Comment devient-on préparateur physique ? Existe-t-il une formation particulière ? Des écoles ? N’importe quel ancien athlète peut-il devenir préparateur physique ?
Personnellement, j’ai suivi une formation universitaire dans la filère entraînement (UFRAPS). C’est un long cursus. Complété par des stages. J’ai eu la chance d’en faire quelques uns auprès d’entraîneurs talentueux, tels feu Bruno Metsu à Valence, Léonce Lavagne ( le père de Denis Lavagne) ou Alain Michel ( Grenoble GF 38).,Sans oublier Dominique Cuperly, lors de son passage au Grenoble GF38.
Certaines stars font appel parfois à un préparateur physique particulier? Tous les clubs l’acceptent-ils ? Dans ce cas, est-il dans l’obligation d’avoir une coopération avec le staff technique du club ?
Oui, cela existe. Mais il faut l’accord du club évidemment. On ne peut pas faire n’importe quoi dans un système en place et bien rodé. Mais si l’on prend l’exemple de la France, le niveau de la préparation physique est très relevé. Et normalement on n’a pas besoin d’aller chercher ailleurs.
Vous avez travaillé avec de nombreux entraîneurs, dont Denis Lavagne, comment se fait le choix du collaborateur. L’entente doit être parfaite, je suppose ?
J’ai eu la chance de collaborer avec des entraîneurs ouverts aux autres et au monde. A l’image de Dominique Cuperly, Christian Caminiti) ou Denis Lavagne. C’est très important la complicité. L’entraîneur et son adjoint doivent fonctionner comme un vrai couple. L’échange professionnel est permanent. Puis, les choses peuvent aller très vite . Comme nous évoluons dans un monde professionnel finalement assez restreint, l’information circule. Et la bonne réputation comme la mauvaise.
La préparation physique a-t-elle des spécificités selon les disciplines ? Ou bien doit-on être capable de travailler avec tous les athlètes ?
Les avis diffèrent sur cette question. Moi, j’estime que l’on doit travailler pour toutes les disciplines. Cela donne une vision plus élargie. Mon expérience avec des boxeurs de haut niveau (Kreshnik Qato , Shenshenko Vyacheslav , Zhang xi Yan, tous les trois champions du monde ) et des athlètes performants ( Essaid Mustapha ,Stela Olteanu et bien d’autre encore) ) m’a beaucoup appris. Cela est d’autant indispensable que le footballeur actuel est devenu un super athlète aux qualités multiples: endurance, intensité, explosivité, puissance musculaire. Les matches de haut niveau demandent des efforts exceptionnels sur la longueur d’une compétition qui dure presque dix mois.
Vous êtes un Franco-Tunisien, mais vous avez beaucoup voyagé : est-il plus compliqué de se faire une place en France lorsqu’on a un nom à consonance étrangère ?
Je pense que c’est plus une histoire de réseau que d’ostracisme en rapport au nom à consonnance étrangère comme vous le suggérer. Si elle existe, comme dans beaucoup d’autres domaines, la discrimination n’est pas systématique. C’est mon avis. Il vaut mieux avoir une réelle compétence associée à réseau ouvert et différencié pour réussir. Après, c’est normal qu’il y ait des affinités entre les techniciens. Tout dépend des rapports de confiance qu’un préparateur va établir avec un entraîneur. En partant du principe que j’ai un certain niveau de compétence, je me dis que si j’étais proche de Jean-Louis Gasset ou de Laurent Blanc, pour prendre un exemple, je pourrais avoir une plus grande chance d’intégrer le staff du Paris SG. Malgré “la consonance”…
Un ouvrage rédigé par deux Franco-Maghrébins dont nous avons rendu compte dans nos colonnes évoque justement la question de la marginalité dans le sport français? Vous adhérez à ce discours ?
C’est un point de vue. J’aurais peut-être l’occasion de le lire. Je crois que “nul n’est prophète dans son pays”. Et comme il y a trop de monde sur le marché français. Moi, je conseille de sauter les frontières. Aller voir ailleurs, cela peut aider à avancer. Ce problème ne touche pas que les spécialistes d’origine maghrébine ou africaine. Voyez combien d’entraîneurs français évoluent aux quatre coins de la planète. Ils sont légion en Afrique noire, au Maghreb, dans les pays du Golfe et désormais dans les grand pays d’Asie, comme la Chine ou l’Inde. On peut revenir plus fort de telles expériences.
Il y a une quinzaine de jours, le sélectionneur suisse de l’équipe d’Algérie olympique, Pierre-André Schürmann, se plaignait du déficit physique de ses joueurs en affirmant que la plupart n’avait qu’une capacité de 20 ou 30 minutes d’intense activité. Il mettait le doigt sur la faiblesse de la préparation au sein des clubs. Qu’en pensez-vous ?
Je ne peux me prononcer sur l’état de la préparation des footballeurs algériens en particulier. Mais si cet entraîneur expérimenté l’affirme c’est qu’il doit y avoir une part de vérité. Je sais aussi que souvent dans nos pays les dirigeants de clubs ont tendance à minorer le rôle de la préparation physique pour des raisons budgétaires. Ils investissent tout sur les joueurs et l’entraîneur et ignorent le reste. Et ils ont tort évidemment. Je ne dis pas ça pour défendre mon pré-carré, mais une bonne préparation est la première condition du succès dans une saison. C’est le combustible que l’on fournit au moteur afin qu’il puisse tourner toute l’année.
Il y un an, vous avez tenté l’aventure en Chine, parlez-nous cette expérience. Qui vient de s’achever, je crois ?
J’ai débarqué en Chine la première fois en 2010 et j’y ai même conservé une résidence. J’y suis retourné en septembre 2014 pour travailler avec Philippe Troussier qui venait de prendre en charge le club de Hangzhou Greentown FC. L’un des plus importants du pays. Un club formateur. Avec une cellule de performance riche de plusieurs préparateurs, car on travaillait avec une quarantaine de joueurs. Je ne suis pas resté longtemps, pour la simple raison que le manière de faire ne me convenait pas. Je n’avais pas toute la liberté que je voulais. Mais je suis parti en bons termes. Une deuxième expérience dans un club de Ligue 2 ((Xinjian Tianshan Leopard ) en collaboration avec l’entraîneur chinois Li Jun a tourné court. Économiquement ce n’était pas viable .Mais je ne regrette rien.
Le football est le plus universel de tous les sports. Mais travaille-t-on de la même manière en Chine, en Tunisie ou en France ?
Bien sûr. Encore une fois, seuls diffèrent les moyens dont on peut disposer. Lesquels conditionnent le niveau de performance souhaitée.
Vous croyez en l’avenir du football dans cette région du monde (Chine, Inde, Indonésie, Vietnam) ?
A long terme, sans aucun doute. Le joueur chinois est travailleur, respectueux et possède une énorme envie de progresser. Il apprend vite. A l’image de cet immense pays capable d’investir beaucoup dans tous les domaines. L’Etat y a même instauré le football pour tous dès l’école primaire. Les stades sont gigantesques et certaines équipes évoluent parfois devant 80 000 spectateurs. Cela dit, il ne faut pas s’attendre à la même passion qu’en Europe ou en Afrique. Le public est toujours bon enfant. Il vient assister à un spectacle. Souvent en famille.
Est-ce que c’est un territoire qui commence à attirer des footballeurs arabes ?
Il y en a quelques uns. Ainsi, en quittant Sfax, où il a aidé le club à participer à la campagne africaine, Philippe Troussier est parti en Chine en emmenant avec lui deux joueurs locaux ( le défenseur Issam Boulabi et l’attaquant Imed Louati)
Quelle est la suite de l’aventure professionnelle pour Taoufik: Envisagez-vous de retourner en Asie ?
Je suis revenu en France pour me rapprocher de ma famille. Je prends mon temps pour prospecter en Ligue 1 et en Ligue 2. Mais, je serai prêt à reprendre mon sac si le devoir m’appelle ailleurs. Je ne m’interdit rien : le Maghreb, les pays du Golfe, l’Afrique de l’Ouest…
Propos recueillis par Fayçal CHEHAT