C’est un récit aussi exclusif qu’exceptionnel qu’a accepté de faire pour 2022mag.com Mohamed Ali Shatrit « Abou », l’un des rares internationaux palestiniens basés en Europe. Le sympathique attaquant trentenaire, qui évolue à Houilles en Excellence désormais, nous raconte avec ses mots son aventure palestinienne. Emotion garantie.
AU COMMENCEMENT ETAIT…
«… mon père, originaire de Halhoul, près d’Al-Khalil (Hebron), ma mère est d’origine libanaise née au Sénégal. Depuis très jeune, j’ai toujours eu cette envie, ce rêve, d’aller sur les traces de mon père, qui a été interdit de séjour pendant 25 ans là-bas. 90% des Shatrit sont en Palestine, nous ne sommes qu’une poignée en France : quatre en tout avec ma sœur. Alors, quand j’ai eu l’opportunité d’y aller, à 26 ans, j’ai rattrapé le temps perdu.
LE JOUR Où JE SUIS DEVENU INTERNATIONAL
Au fond de moi, j’ai toujours voulu opérer un retour aux sources et j’ai cherché pendant des années à entrer en contact avec le foot là-bas. Il y a quelques années de cela, je jouais en CFA2 à Drancy, en région parisienne tout en travaillant pour la municipalité. J’avais une collègue sympathisante de la lutte de la Palestine et en 2009, elle me dit que l’équipe nationale se trouve à Bruxelles, invitée par l’ONU à jouer un match ! Mieux, qu’elle s’entraîne sur les installations du FC Brussels. Tout la journée d’avant, j’ai essayé de les contacter. J’étais tellement préoccupé que j’ai eu du mal à bosser après ça. En soirée, un monsieur de la délégation m’a appelé pour me dire que le rendez-vous était le lendemain matin au stade de Molenbeek, à 10 heures ! Le cœur battant, j’ai acheté un billet de train sur internet et je suis parti en Thalys à 7 heures le lendemain pour Bruxelles. Un taxi m’a déposé au stade mais du mauvais côté. J’ai fait le tour pour entrer, enjambé la main courante et je suis allé vers le groupe, comme ça, en marchant avec mon sac à la main. Je me suis présenté, Palestinien de France, qui essayais d’être auprès d’eux depuis tant d’années. J’évolue à un niveau correct, je veux jouer, testez-moi ! Le coach m’a envoyé me changer dans le vestiaire et puis j’ai intégré la séance. C’était un spécifique devant le but. Moi qui suis attaquant, je volais sur le terrain. A la fin, le coach m’a dit : ne rentres pas, viens avec nous à l’hôtel. On m’a donné mon équipement, et j’étais tellement heureux d’être là, avec eux. On a fait des visites protocolaires, et puis arrive le match. Je suis remplaçant mais le coach m’envoie m’échauffer. J’entre à la 70e minute pour jouer latéral droit mais franchement, je m’en foutais. Je fais une percée dans le couloir, suivi d’un crochet puis une balle en profondeur. Et on marque là-dessus ! Du délire ! A la fin du match, les dirigeants me disent de réserver la première semaine de juin pour jouer le Terek Grozny (Russie). J’avais joué pour la première fois pour mon pays et j’allais pouvoir enfin rencontrer les autres Shatrit. Pour l’anecdote, je suis entré dans les vingt dernières minutes : on était menés 2-0 et on a fait 2-2. Cent personnes de ma famille sont venues à Ramallah pour moi. Inoubliable. »
AL FURSANE
La sélection a été comme une famille pour moi. On a beaucoup voyagé à l’époque, on jouait peu chez nous, alors cela a créé des liens. Imaginez, on restait des semaines en Birmanie, au Koweit, en Tanzanie. On vivait ensemble. Il n’y avait que ça. On portait le drapeau partout où on nous accueillait. J’ai affronté pas mal de clubs aussi, comme le Terek Grozny, le Dinamo Moscou, certaines nations nous refusaient un visa d’entrée, il ne fallait pas s’afficher avec nous parce que cela aurait signifié qu’on nous reconnaissait en tant que pays. Mon combat, je l’ai mené avec mes pieds.
MA VIE à AL-KHALIL
A un moment donné de ma carrière, il y a eu un vise entre deux périodes, deux clubs en France. Et cette opportunité. J’ai signé au Shabab al-Khalil, près de ma famille et j’y suis resté un petit moment. J’avais tout lâché en France, le boulot, le foot. Heureusement, ma femme était là pour moi et m’a permis de vivre pleinement mon retour aux sources. C’était pas évident de partir, mais je l’ai tenté.
LA QUALIFICATION
C’est une grande fierté que la qualification pour cette première compétition internationale, cette Coupe d’Asie. Je ne peux pas vraiment dire que je suis surpris parce que notre équipe a une grosse marge de progression. En revanche, je ne pensais pas qu’elle viendrait si vite. Même si je ne l’ai pas vécue, puisque ma dernière cape remonte à 2011, je peux dire que cela a été un vrai parcours du combattant pour se qualifier. L’équipe a remporté l’AFC Challenge Cup, ce qui lui a permis de se qualifier. Mais avant ça, il a fallu se qualifier pour ce même tournoi, et ça a commencé en Birmanie. J’y étais, on avait fini devant le Bangladesh et la Birmanie, et fait un nul contre les Philippines. Modestement, j’avais apporté ma petite pierre à l’édifice. L’équipe nationale s’est beaucoup structurée ces dernières années, le championnat local s’est professionnalisé. Quand je l’ai intégrée, il y avait surtout des joueurs locaux. Depuis, elle s’est ouverte à des expatriés venus d’Europe, d’Amérique du Nord et du Sud et pas mal de joueurs évoluent dans les clubs de la région.
AUSTRALIE 2015
On a aujourd’hui un capital sympathie et on a fait notre trou au sein de la confédération asiatique. Il y a encore 2-3 ans, on était loin au classement, maintenant on est dans le top 6, c’est pas mal ! Cette participation permet de parler de la Palestine autrement qu’à travers la guerre, le conflit dans la région. Forcément, en voyant évoluer mes copains, ça m’a fait un pincement au cœur. On ne me retirera jamais cette fierté d’avoir été l’un des leurs pendant plusieurs années, du temps du coach Moussa Bezaz et de son adjoint Noureddine Ould Ali. Pour notre baptême du feu, c’était compliqué, on jouait des grands, les tenants du titre, le Japon. Je leur souhaite aujourd’hui de glaner leurs premiers points dans la compétition. Et pourquoi pas battre la Jordanie ? Je salue tous mes amis, Ashraf, Ramzi, Muhaid ismail, Bahbari. J’aurais aimé être à leur côté pour les aider. Qu’ils continuent à porter haut nos couleurs et montrent qu’on est toujours debout. On progressera encore, Al Farsane les chevaliers, Inch’Allah on va prendre nos premiers points !
L’AVENIR…
Il faut développer la formation chez nous. A terme, j’aimerais m’impliquer plus tard. Je suis encore joueur, mais cela viendra ! Pour l’heure, je me consacre à la prochaine génération, mon fils Elias de 13 mois. Il sera plus fort que moi ! »
Recueilli par Samir Farasha