Titulaire d’un Master Staps en management du sport et d’un Brevet d’entraineur de football, Thierry Guillou est un éducateur passionné par les questions liées à la formation. A l’occasion de la sortie de son livre Football et Formation, une certaine idée du jeu (édition L’Harmattan), l’ex-collaborateur de Christian Gourcuff à Lorient nous détaille la philosophie et les principes de jeu qui l’animent.
Quelle idée avez-vous voulu défendre en écrivant ce livre?
Thierry Guillou : A travers ce livre, l’idée première est de parler de football, des fondements véritables de ce sport à savoir la formation, le jeu collectif, l’identité de jeu, l’esthétisme. C’est défendre un football construit qui favorise l’initiative, en opposition au football réaliste et réactif de certaines équipes. Il y a également la volonté de laisser de côté tous les aspects parasites (argent, starisation, mercato, people, buzz…etc.) qui sont malheureusement trop souvent entretenus par les médias. La vision du football exposé dans « Football et formation : une certaine idée du jeu » est au carrefour de diverses influences qui ont comme convergence la formation et le jeu comme principes fondamentaux d’une politique de club. Ce courant de pensée a rarement trouvé un champ d’application au haut niveau.
Vous remettez parfois en cause le système de formation à la française. Que lui reprochez-vous?
Il serait intéressant de questionner ce que vous entendez par l’expression « formation à la française ». En effet, cette expression renvoie au mythe que la « formation à la française » serait une. Or, si l’on se réfère aux politiques des clubs en matière de formation, il y a d’importantes différences que ce soit en termes de recrutement, de philosophie de jeu, de valorisation des jeunes joueurs etc. En revanche, la « formation à la française » est singulière par rapport aux autres nations de par son organisation générale avec les pôles espoirs, les centres de formation, les sections sportives, les sélections régionales et nationales. Là, le terme prend tout son sens. Pour en revenir à votre question, le livre interroge sur plusieurs éléments comme le nombre important de centres de formation, les critères de recrutement, la rigidité de l’édifice général, la place du jeu et du résultat…etc.
La France réussit pourtant à sortir des générations talentueuses. La DTN n’a-t-elle pas été en avance sur les exigences du très haut niveau qui nécessite aujourd’hui d’avoir de l’impact physique, athlétique et de la vitesse?
La formation en France se porte plutôt bien lorsque l’on voit le niveau de jeu des joueurs de moins de 25 ans qui évoluent en Equipe de France (Varane, Mbappé, Lemar, Pogba, Dembélé, Umtiti, Coman, Fekir…etc.). Cela dit, elle pourrait peut-être exceller davantage ou d’une manière différente : c’est l’objet du livre. Fin février 2018, est parue une étude de l’Observatoire du football du Centre International d’Etude du Sport (CIES) qui identifie les joueurs du « big-five » les plus habiles pour dribbler. Les joueurs formés en France sont surreprésentés aux au classement.Ils sont ainsi neuf aux quinze premières places ( Hazard, Boufal, Saint-Maximin, Pogba, Coman…). Cette donnée révèle l’entretien et le développement des facultés d’élimination des joueurs au sein des centres de formation français. Mais l’analyse peut également considérer que cette qualité de dribble est le fruit d’une conception « individualiste » du football et du souhait de valoriser de manière extrême le « produit joueur » dans une optique de vente future, peut-être au détriment du jeu et de l’esprit collectif. Concernant l’impact physique des joueurs, est-ce que Messi, Iniesta, Neymar, David Silva, Griezman, Bernardo Sylva ou encore Dybala ont une dimension athlétique impressionnante? Je ne pense pas. En revanche, ils présentent une certaine forme de vitesse (vitesse de course, de perception, de décision, d’analyse, gestuelle…etc.) qui contribue à leur performance.
Vous pointez du doigt le manque d’autonomie et de réflexion des jeunes. Diriez-vous que la formation à la française n’apprend pas à penser par soi-même ? Et quand peut-on dire qu’un footballeur est intelligent?
De façon générale, le modèle directif est encore très prégnant dans les contenus d’enseignement. Or, le jeu demande de faire preuve d’intelligence en situation. C’est donc le joueur qui doit être le véritable maître du jeu. Mais » l’imprévisibilité » est bien souvent absente de l’approche éducative et pédagogique de l’éducateur qui est plus enclin à enseigner des « solutions » avant même que le problème ne soit posé plutôt qu’amener à apprécier les problèmes rencontrés. Ces derniers sont pourtant sources de nouveauté, d’inventivité et de créativité ! ». En football comme dans la vie, il n’y a pas qu’une seule forme mais une multitude d’intelligences (scolaire, émotionnelle, comportementale…etc.). Pour être un footballeur de haut niveau, il est nécessaire d’avoir une intelligence de résolution de problème en situation.
« Tous les jeunes footballeurs doués ne deviennent pas de grands joueurs »
Vous écrivez qu’on « tue » les talents. Pouvez-vous préciser?
Cette expression émane d’un constat : tous les jeunes footballeurs doués ne sont pas devenus de grands joueurs mais tous les grands joueurs étaient des jeunes footballeurs doués. Pendant la période de formation, il y aurait donc manifestement une déperdition du nombre de talents. L’environnement (éducateurs, infrastructures, organisation, parents…etc.) joue un rôle fondamental dans la réussite d’un joueur mais également dans sa non-réussite.
Arribas, Suaudeau, Denoueix, Gourcuff, Sacchi, Cruyff, Guardiola, Bielsa…, pourquoi sur ces 40 dernières années les entraineurs qui ont su valoriser les joueurs sont-ils si peu nombreux?
Ils sont effectivement assez peu nombreux, car il faut beaucoup de courage et des convictions fortes pour défendre un idéal : le jeu collectif et le refus de ces entraineurs de sacrifier leurs exigences esthétiques. C’est à travers le jeu collectif de leur équipe que les individualités se sont révélées pleinement. Pour que les entraîneurs mettent en application leur conception du jeu, il est également nécessaire qu’il y ait une osmose totale avec l’environnement dans lequel il évolue. Cette synergie, Suaudeau l’a connue à Nantes, Gourcuff à Lorient, Sacchi à Milan…
Vous estimez que les clubs français n’ont pas de style de jeu. Que faudrait-il faire pour favoriser ce dessein ?
Le livre ne dit pas que les clubs français n’ont pas de style de jeu, mais il soutient l’idée qu’il n’y a pas de volonté forte de la part des dirigeants en règle générale d’assimiler leur club à une culture du jeu. C’est pourtant potentiellement un vecteur de développement important. Il faudrait une prise de conscience générale que tout projet de club doit reposer sur un projet de jeu car c’est l’essence même du football.
Comment voyez-vous l’évolution de la formation en France dans les 20 prochaines années?
La formation en France va devoir relever un défi important, celui lié à l’offensive des clubs étrangers envers ces jeunes footballeurs. En 2008, en clôture de mon cursus universitaire, mon travail d’étude avait pour ambition de proposer des solutions juridiques afin de protéger et de préserver la formation en France. Dix ans ans plus tard, force est de constater que cette thématique est au cœur de l’actualité. Le modèle qui a prévalu pendant de nombreuses années va nécessairement devoir s’adapter et se réinventer au risque de s’essouffler. D’un point de vue plus technique, il y a un savoir-faire français en termes de formation. Mais il y a encore une marge de progression dans la capacité du joueur à être acteur de son projet, de sa révélation, de ses choix. Le joueur n’en sera alors que plus performant. Il y a également une marge liée au développement de l’intelligence de jeu via une exploitation accrue de l’outil vidéo par exemple. La pression spatio-temporelle étant de plus en plus forte, la technique du joueur doit devenir encore plus fine, plus précise, plus juste, plus adaptative. Enfin, tout ceci ne peut émerger que s’il y a la volonté de développer un football construit et élaboré.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk